mercredi 22 août 2012

De l'art du "y'a toujours plus grave"

Je pars de très loin, question sexisme. Mon entourage n'a jamais vraiment eu à coeur de considérer ce problème avec le sérieux qu'il mérite. Mon ex-petit-ami était un beau condensé de ce que l'on peut voir de mieux côté essentialisme sexiste. Moi, au milieu de tout ça, très influençable que je suis, j'ai du attendre de me prendre des claques dans la gueule pour ouvrir les yeux. Et aujourd'hui, lorsque je tente d'affirmer une position féministe en public, je ne suis que rarement déçue du niveau de négationnisme de mes interlocuteurs. La phrase qui revient le plus souvent? "mais il y a plus grave ! Le salaire, la contraception, la situation en dehors de notre belle Europe". Aujourd'hui, je ne vais donc pas directement vous parler des aberrations sexistes que l'on peut voir à longueur de temps mais je vais vous parler de cette petite chose qu'est le négationnisme, principe selon lequel il vaut toujours mieux fermer les yeux que d'agir.


 L’exemple qui a déchainé les foules et qui a valu à nombre de féministes (françaises, en l'occurrence) de s’en prendre plein la tronche, c’est récemment la question du mademoiselle/madame sur les formulaires administratifs. Je le redis : je ne suis pas ici pour vous expliquer en quoi  le fait d’obliger les femmes (et uniquement les femmes) à partager avec des entreprises (et donc avec des inconnus) des informations privées comme leur statut marital est sexiste. J’aimerai en revanche répondre au «mais y’a plus grave» que l’on entend ici et là. Oui, il y a plus grave. Oui, un homme qui bat sa femme parce qu’il est pris dans un schéma de couple sexiste où il se doit d’imposer le fait qu’il est bel et bien le dominant, c’est plus grave que de devoir annoncer que l’on est marié (ou non). Mais mettons nous un peu en situation pour mieux comprendre : 

- J’en ai marre de me prendre des insultes sexistes dans la tronche tout la journée

- Attends, te plains pas ! Y’a quelques siècles les femmes n’avaient pas le droit de vote, étaient enfermée à la maison, et n’avaient pas le droit de sortir sans être accompagnées. Et toi tu te plains pour une histoire d’insulte? Sérieusement? Alors que y'a des trucs plus importants comme la question des salaires...  mais où va le monde?

- Bah, je ne sais pas où il va mais visiblement il continue à faire dans le sexisme. Regarde, les femmes avaient besoin d’un chaperon pour sortir, parce que si elles sortaient seule c’était inadmissible. Moi quand je me ballade (seule) dans la rue, j’ai 9 chances sur 10 de rencontrer des gens qui vont me faire des remarques, des gestes obscènes, ou m’envoyer des insultes. En quoi l’un et l’autre sont différents ? Pourquoi l’un serait plus sexiste que l’autre ?

- Mais attends, ça va une insulte c’est pas violent, c’est pas grave... Faut faire avec quoi.

- Faire avec ? Sous quel prétextes je devrais «faire avec» des pratiques qui me placent comme un être inférieur qu’on peut mépriser gratuitement ? Parce que c’était pire avant ?

- Bah faut bien reconnaitre qu’on a évolué
- Mais c’est pas la question, évolution ou pas, il y a du sexisme sous tes yeux et tu refuses de le voir ! C’est ça le vrai problème. La situation actuelle sera toujours meilleure qu’une autre situation (ailleurs, dans un autre temps, sur une autre planète). Mais en quoi ça excuse le fait de fermer les yeux ? Qui ne dit mot consent, parait-il, mais vouloir faire fermer leur gueule à ceux qui protestent c'est encore pire que de consentir. C'est ouvrir la porte au sexisme en s'assurant que personne ne sera inquiété de rien.  Et moi, le se sexisme je le vis tous les jours. C’est pas parce qu’on a le droit de vote que la domination d’un groupe et d’un sexe sur un autre n’existe plus. Maintenant, t’as le choix : y’a toujours deux solutions à un problème, la bonne et la mauvaise. Je suis pas sûre que le fait de fermer les yeux sous prétexte qu’il y a pire ailleurs soit une bonne solution. Et puis bon, quand on a parlé de droit de vote pour les femmes, déjà, c’était le même discours. On partait du principe qu’il y avait plus grave, plus important, et qu’après tout les petits problèmes des femmes n’étaient pas à mettre sur le même plan que des problèmes d’importance mondiale. Et aujourd’hui regarde : on considère normal que les femmes aient le droit de vote, on voit ça comme une avancée importante. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement? Que l’Histoire, le progrès, l’évolution, ont choisi de laisser derrière-eux les gens comme toi qui décident de fermer les yeux sur les problèmes ou de refuser de les voir avec un peu de sérieux. Tu es du mauvais côté de l’histoire.

Alors oui, voilà. Les insultes gratuites, les regards pleins de sous-entendu, les «elle avait qu’à mettre une jupe moins courte, elle aurait pas été violée», l’image photoshopée des femmes dans les magazines, les jouets genrés dès le plus jeune âge... tout ça, ça fait parti d’un système sexiste. Là dedans il y a des crimes, des délits, des simples preuves de stupidité et d’intolérance mais malgré tout un point commun unit ces multiples exemples : le sexisme.

Le sexisme que l’on peut observer chez un mari qui bat sa femme ne vient pas de nulle part. On traiterai cet homme de fou dans une société où la norme serait à l’égalité réelle entre les sexes. Notre société, elle, étant sexiste, parle simplement d’un «homme violent» ( = plus violent que les autres). Et tout cette culture sexiste que nous entretenons soigneusement se doit d’être dénoncée, et c’est entre autre la démarche des féministes. Protester contre les toutes les manifestations du sexisme ordinaire, celui-là même qui forge nos esprit et notre pensée, c'est essentiel à l'heure actuelle. Car ce n’est pas le sexisme de «l’homme violent» dont je parlais tout à l’heure qui nous enseigne à être sexiste entre nous, au quotidien. C’est plutôt tout ce qu’on laisse passer dans les journaux, sur les rayons des magasins, dans la bouche d’hommes politiques...

Ah oui, parce que le «c’est pire ailleurs» ne marche pas non plus. Justifier les agressions éventuelles par le fait qu’on se trouve dans un «quartier chaud» c’est ignorer une part de l’actualité. Il y a un peu plus d’un mois, Cécile Duflot ministre de l’égalité des territoires, se rend à l’assemblée nationale vêtue d’une robe. La réaction est immédiate : elle prend la parole pour parler de problèmes techniques, importants et sérieux et on lui répond par des huées et des insultes. Son crime? Sa robe. Est-ce que nous nous trouvions dans une banlieue sombre, un samedi soir, seul et sans défense ? Non, nous nous trouvions juste dans une institution du pouvoir politique français... Ce n'est qu'un contre exemple mais ma foi il est plutôt parlant.


Il n'y a pas d'actes sexiste qui soient plus petits que les autres. L'acte sexiste en lui-même est, par essence, grave et immoral. Et lorsqu'on sait que ce sont les petites démonstrations quotidiennes et "banales" qui forgent les esprits et qui incitent certains hommes au viol, on ne peut pas accepter cela sans broncher, et on ne peut pas accepter de voir des gens a priori sains d'esprit venir nous expliquer qu'il faut revoir nos priorités. Dénoncer un article sexiste ça sert directement la cause de l'inégalité des salaires, en faisant ressortir de situation quotidienne des preuves de l'inégalité sociale globale. Et si nous étions face à des gens un peu plus humble, ils diraient simplement que c'est juste et qu'il faut revoir leur comportement avec un peu plus de tolérance. A la place de quoi on se fait traiter d'hystérique (comble de l'insulte sexiste).

Alors soyons clairs : comme il me semble que dénoncer les petites preuves courants du sexisme est plus utile d'un point de vue moral que de fermer les yeux en attendant que ça passe, je continuerai à chercher ces petites preuves, et à les mettre sous les yeux de tous, y compris ceux qui ont trop d'orgueil pour accepter de remettre en cause leur comportement. Et je continuerai à considérer que je n'ai pas de leçon de morale à recevoir d'eux.


1 commentaire:

  1. Bel article traitant d'un sujet malheureusement trop souvent laissé de côté.
    Il est parfois difficile d'ouvrir les yeux sur le sexisme ordinaire ambiant, présent même dans un pays aussi développé que la France.
    Des fois, je me dis que si l'on transposait tout les comportements énoncés ci dessus en changeant la cible (par exemple, si au lieu de viser les femmes, cela visait une classe sociale, une couleur de peau, une religion...), cela serait directement dénoncé et puni.
    Or, nous continuons d'évoluer dans une société patriarcale ou chaque sexe se doit de rester à sa place, et où ce traitement des femmes semble presque "légitime", ou du moins ordinaire.

    J'espère qu'un jour, la société évoluera dans son rapport aux différences de sexes, d'ailleurs aux différences tout court, et que l'on pourra se dire "t'imagines, c'est fou, en 2013 et en France, une femme qui sortait dans la rue se faisait harceler x fois par jour, se faisait juger par le choix de ses vêtements, ... c'est quand même dingue non ? "

    RépondreSupprimer